Sur le pont Marcadet, juillet 2017
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Situé au centre du quartier administratif de la Goutte d'Or, le pont Marcadet est un pont routier qui enjambe les voies de chemin de fer du Nord, d'Est en Ouest, au débouché de la culée de l'avant-gare. Coté Nord, il offre une très belle perspective sur le faisceau ferroviaire de La Chapelle, un des plus importants au monde, ainsi que sur l'ancien dépôt ferroviaire de La Chapelle.
Sur le pont Marcadet, octobre 2013
Sur le pont Marcadet, la rue Ordener
Mis à part les ponts prestigieux qui possèdent leur nom propre, comme le Pont-Neuf, il est d'usage que les ponts prennent le nom de l'artère qu'ils supportent. Il en est ainsi pour les ponts du quartier qui enjambent les voies de chemins de fer du Nord : le pont Doudeauville, le pont Jean-François Lépine ou le pont de Jessaint sont baptisés du nom de la rue qui les accueille. Le pont Saint-Ange qui supporte le boulevard de la Chapelle ne déroge pas à la règle, il porte l'ancien nom du boulevard à la création de ce pont, le boulevard Saint-Ange (entre la place de la Chapelle et la rue de la Charbonnière).
Mais sur le pont Marcadet passe, non pas la rue Marcadet comme attendu, mais la rue Ordener. Cette bizarrerie s'explique par le simple fait que la rue Ordener s'est tout simplement invitée sur le pont Marcadet. Reprenons la chronologie de l'aménagement urbain de ce bout de territoire pour mieux comprendre.
La rue Marcadet est une voie ancienne qui s'étirait sur les paroisses de La Chapelle Saint-Denys et de Montmartre dont le percement date probablement du XVIIème siècle. Elle permettait notamment de rejoindre le hameau de Clignancourt depuis le village de La Chapelle.
Plan de 1707, les noms de rue actuels sont indiqués en rouge
En 1843, la rue Marcadet est coupée par la construction du chemin de fer du Nord, qui sera mise en service en 1846, et voit la naissance d'un pont pour la traversée des voies. Un pont qui prend donc le nom de pont Marcadet.
En 1860, les faubourgs parisiens sont annexés à la capitale, la Chapelle Saint-Denis devient une partie du dix-huitième arrondissement. La rue Marcadet est classée dans les voies parisiennes en 1863. Dans la continuité des grand travaux d'urbanisation d'Haussmann, il est prévu la création d'une longue rue traversant le Nord de l'arrondissement d'Est en Ouest, doublant ainsi la rue Marcadet, trop étroite et sinueuse : c'est la rue Ordener. La voie nouvelle, achevée en 1867, avale le début de la rue Marcadet qui dorénavant commence non plus rue de la Chapelle mais rue Stephenson, de l'autre coté du pont Marcadet. Pour ainsi dire, la rue Ordener a chassé la rue Marcadet de son propre pont.
Plan du début des années 1860, avant la fin du percement de la rue Ordener
Plus loin, plus haut
Le pont Marcadet est donc érigé en 1843 lors du percement de la ligne de chemins de fer du Nord. Il est alors construit en maçonnerie avec un tablier en bois, mais dès mai 1844, le Conseil général des ponts et chaussées préconise le remplacement du tablier du Pont Marcadet par un ouvrage maçonné, ce qui sera fait. Dès lors, il ne va cesser d'évoluer au gré de la pression ferroviaire grandissante.
En 1860, à la faveur de la reconstruction de la gare du Nord et de l'élargissement des voies, le pont est totalement détruit pour être remplacé par une construction métallique. Il est allongé et élargi à cette occasion. L'activité ferroviaire ne cessant d'augmenter, la Compagnie des Chemins de fer du Nord, en accord avec la municipalité entreprend de nouveaux travaux en 1889, le pont Marcadet est élargi en même temps qu'allongé, ses poutres reposent sur vingt colonnes de fer et huit sabots sur culée. Il est à nouveau allongé de huit mètres du coté Est en 1924. De nouveaux travaux sont entrepris en 1958, le pont est surélevé, allongé et élargi.
Vue aérienne sur le pont Marcadet, 1970
Enfin, en 1977, à l'occasion des travaux de l'avant-gare en vue de la création de la partie souterraine de la Gare du Nord, le pont Marcadet va subir sa dernière transformation, avec une surélévation et un allongement à l'Est, ainsi que la disparition de la gare du Pont-Marcadet.
Vue aérienne sur le pont Marcadet, 1977
On distingue les travaux d'élargissement des voies de chemin de fer
Un pont, une gare, un pont-gare
Dans les années 1890, le pont Marcadet accueille une nouvelle gare ouverte par la Compagnie des chemins de fer du Nord : la gare du Pont-Marcadet. Cet arrêt offrait aux habitants du quartier la possibilité de rejoindre la Petite Ceinture ou la ville de Saint-Denis. La gare permettait de gagner la Gare du Nord en seulement quatre minutes.
Le pont Marcadet, on aperçoit le bâtiment de la gare à droite
La gare est constituée d'un petit bâtiment de métal, brique et verre, ouvrant sur le pont Marcadet et perché sur des colonnes métalliques. Un escalier à l'arrière du bâtiment descend sur un unique quai de voyageurs.
Vue sur la gare du Pont-Marcadet depuis le quai, 1900
Un train à quai à la gare du Pont-Marcadet, 1902-1908
Un train quittant la gare Pont-Marcadet, 1948
La gare du Pont-Marcadet ferme en 1977, lors des importants travaux en avant-gare nécessaires à la création de la gare souterraine. Le quai ainsi que le bâtiment sont détruits.
Les anciennes portes de la gare du Pont-Marcadet, Juillet 2017
Aujourd'hui, il ne subsiste rien de cette petite gare si ce n'est l'ancien portail toujours visible sur le coté Nord du pont (voir photo ci-dessus) ainsi qu'un arrêt de bus rue Ordener, juste à coté du pont, qui porte le nom de "Pont-Marcadet".
"Pont Marcadet", Photo de François Lartigue, 1988
Quai de la gare du Pont-Marcadet, vers 1900
Emplacement du quai de l'ancienne gare du Pont-Marcadet, juillet 2017
Pour en savoir plus sur le Petite Ceinture, on se réfèrera au site de l'association Sauvegarde de la Petite Ceinture (ASPCRF) dont on a emprunté plusieurs photos présentées ici.
Paf le pont !
Le pont Marcadet traverse un des faisceaux ferroviaires les plus complexes et étendus du monde et logiquement, comme les autres ponts voisins, il a été le témoin de nombreux accidents ferroviaires, comme ce tamponnement entre deux trains qui fit 9 morts en mai 1912. Mais le pont Marcadet a connu des accidents avec une caractéristique assez particulière si l'on en juge par ces exemples pour le moins édifiants listés ci-dessous (il est conseillé de rester bien assis dans son siège pour en entreprendre la lecture) :
- Le 20 août 1869, un "homme de forte corpulence" veut changer de wagon alors qu'il est installé sur une impériale, il trébuche au passage du pont Marcadet et chute sur la voie, il est emmené dans un état désespéré à l'hôpital Lariboisière.
- Le 12 juillet 1870, Paul Grudé, Vingt ans, est installé sur l'impériale d'un wagon, en essayant de passer d'un wagon à un autre, sa tête heurte le pont Marcadet, il décède sur le coup.
- Le 18 mai 1875, un homme installé sur une impériale veut donner du feu à un autre voyageur en passant la balustrade du wagon, sa tête vient se fracasser sur le pont Marcadet, dans sa chute le corps du malheureux reste accroché au train, se vidant de son sang en éclaboussant les autres voyageurs horrifiés.
- Le 3 mai 1876, un homme de cinquante ans, monsieur Hadancourt, se tient debout sur l'impériale du train, sa tête heurte la voute du pont Marcadet, il est renversé sur la voie et trouve la mort.
- Le 24 janvier 1882, une homme d'équipe de la gare de la Chapelle, nommé Walley, monté sur un fourgon au moment du passage sous le pont marcadet, il s'y cogne violemment la tête et meurt sur le coup.
- Le 9 octobre 1883, un jeune soldat se lève alors qu'il est installé sur une impériale, il meurt la tête fracassée contre le tablier du Pont Marcadet.
- Le 14 août 1884, le garde-frein du train n°70, monsieur Fontaine, juché sur sa vigie se fracasse le crâne au passage du pont-Marcadet, il est évacué dans un état grave.
- le 5 août 1895, un garde-frein de la Compagnie du Nord tombe de son train sous le pont Marcadet, la chute lui est fatale.
- Le 22 avril 1899, un ouvrier bourrelier habitant Saint-Denis passe la tête à l'extérieur de son train, il se brise le crâne sur le pont Marcadet. On le retrouve sur la voie, il est transporté dans un état désespéré à l'hôpital Lariboisière.
- Le 25 novembre 1899, Albert Sourzac, un garçon boucher de dix-sept ans, trouve la mort en tombant de l'impériale sous le pont Marcadet.
- Le 1er juillet 1900, un télégraphiste, Gilles Le Coz, chute de l'impériale du train sous le pont Marcadet, il se brise le crâne et décède quelques heures plus tard.
- Le 15 février 1901, une homme tombe de l'impériale sous le pont Marcadet et meurt sur le coup.
- Le 6 mai 1901, André Zinder, âgé de dix-huit ans, tombe de l'impériale du train sous le pont Marcadet, il est très grièvement blessé.
- Le 9 avril 1902, Jean Golicoeur, quarante ans, juché sur l'impériale, se penche et sa tête vient heurter un pilier du pont Marcadet, il est tué sur le coup.
- Le 6 juin 1902, Octave Havard, un ouvrier de trente-quatre ans, sort la tête par le coté du wagon, il meurt en se fracassant le crâne sur une pile du pont Marcadet.
- Le 15 juin 1905, Henri Cartigny, vingt-cinq ans, chute de l'impériale sous le Pont Marcadet, il décède des suites de ses blessures.
-Le 21 octobre 1909, Denise Augustin, quatorze ans, se penche par la fenêtre du train, sa tête cogne le pont Marcadet, elle est tuée immédiatement.
- Le 29 novembre 1912, Roger Poupe, âgé de sept ans et demeurant à Enghien, se penche par la fenêtre du train et se fracasse la tête contre une pile du pont Marcadet. Il meurt sur le coup.
Cette terrible hécatombe tient à deux facteurs combinés : à la conception des wagons à impériale et à la configuration du pont Marcadet. En effet, les wagons à impériale, dotés d'un étage auquel on accède par un escalier extérieur, ne permettent pas de se tenir debout. Le modèle ouvert (voir photo ci-dessous) permet toutefois aux voyageurs de se redresser notamment au niveau de l'escalier d'accès mais en dépassant la hauteur du toit du bidel (nom argotique du wagon à impériale) ; de même, on peut facilement se pencher sur le coté du wagon totalement ouvert. Seulement, au passage d'un pont comme celui de Marcadet, ces manoeuvres peuvent vite devenir fatales pour les voyageurs imprudents, le tablier du pont étant très bas et les voies frôlent les piliers de soutien. Les panonceaux préconisant de "ne pas se pencher au dehors" n'étaient pas vains.
Un train avec des wagons à impériale (ouverts et fermés) entrant en garde de St Germain en Laye
En janvier 1906, seulement, suite "aux nombreux accidents survenus sous le Pont Marcadet" le ministre des travaux publics, monsieur Gauthier, enjoint la Compagnie du Nord à supprimer le plus rapidement possible les wagons à impériale ouverte responsables de ces accidents. Il faudra vingt-cinq ans pour que les wagons à impériale disparaissent complètement de ces voies.
Le Journal, 19 janvier 1906
Aujourd'hui les trains ont bien changé, et plusieurs millions de voyageurs passent sous le pont Marcadet, tranquillement, sans plus jamais s'y cogner la tête.
Vue sur le pont Marcadet et le dépôt de La Chapelle depuis l'impasse du Curé, septembre 2013
Ganesh passant sur le pont Marcadet, septembre 2015