Dans la rue Affre, à deux pas du 28, le square Saint-Bernard-Saïd Bouziri fait face à l'église Saint-Bernard. Ouvert en 1891, une trentaine d'année après la construction de l'église Saint-Bernard, ce square abritait jusqu'en 1942 une statue souvent nommée, à tort, "La Semeuse".
"Tout Paris - Statue du Square St Bernard (XUIIIe arrt)" Carte postale vers 1900
Un square dans la Goutte d'or
Avant l'ouverture du square Saint-Bernard en 1891 (il s’appelle "Saint-Bernard-Saïd Bouziri" depuis le 6 février 2012), le quartier de la Goutte d'or n'est équipé d'aucun parc, jardin ou square. Les habitants n'ont pas d'espace vert à proximité. Certes, il reste bien quelques parcelles non loties au Nord du quartier, la villa Poissonnière nargue le passant avec ses petits jardins clos et quelques rares potagers s'aperçoivent derrière des murs encore rescapés de l'inexorable densification urbaine qui s'achève alors. Mais ce peu de verdure est fermé au commun des habitants d'alors, simples ouvriers et employés.
Pourtant le préfet Haussmann promettait un square à moins de 10 minutes à pieds pour chaque Parisien. Le quartier sera un des derniers servis. Aussi la présence d'une école religieuse et d'une école élémentaire publique dans sa proximité et la construction de quelques immeubles un peu plus "cossus" dans le pourtours immédiat de l'église Saint-Bernard ont dû décider la municipalité à établir un square sur la place arborée qui lui fait face (ancienne place Stephenson).
En 1891, s'ouvre donc le square Saint-Bernard, petit jardin public de 1308 mètres carrés, encadré par les rues Affre, Saint Bernard, Saint Matthieu et Stephenson. Ce square parisien compte tous les éléments d'un espace vert d'une telle dimension : ses grilles, ses haies taillées, ses massifs fleuris, son point d'eau, ses bancs à l'ombre des tilleuls et sa statue. En l'occurrence, il s'agit d'un bronze du sculpteur Barrau.
Une carte postale erronée
Au fond du square, tournant le dos à la rue Stephenson, il est donc érigé une statue. Cette statue représente une scène paysanne : une jeune femme, les cheveux attachés sur la nuque et penchée en avant, sa jupe est serrée au niveau des genoux, elle tient de ses deux bras un contenant rond cerclé de bois, un coq et deux poules s'affairent à ses pieds. Cette statue de bronze a été sculptée sur plâtre par Théophile Barrau et a été fondue avec la technique de la cire perdue par le fondeur Thiébaut en 1885. La ville de Paris l'a acquise ainsi que le modèle en plâtre au Salon de 1887 pour la somme de 11.500 francs.
La statue vue de dos
Reste à savoir le nom de cette statue. Souvent nommée "La Semeuse", cette sculpture se nomme en fait "La Vanneuse". Il semble que ce soit une carte postale qui est à l'origine de cette confusion, notamment chez les cartophiles, collectionneurs pourtant enclins à débusquer ce genre d'erreur.
"La semeuse" de Piel
À la décharge de celui qui à l'époque a légendé la carte postale chez l'éditeur Fleury, il n'y a aucune inscription sur le socle de la statue. Cependant, on peut penser que cet auteur n'était que peu au fait des travaux agricoles. En effet, en observant avec un peu d'attention ce bronze, l'idée que la jeune fille figurée soit en train de semer ne tient pas du tout. Plusieurs indices permettent d'infirmer sûrement la thèse de la semeuse :
- la posture inclinée vers l'avant n'aurait pas de sens pour un semis
- les graines à semer ne sont pas contenues dans ce qui s'avère être un van (une sorte de tamis), objet encombrant qui ne laisse pas les mains libres de leurs mouvements.
- la jupe serrée au genoux (mieux visible de dos) serait une entrave pour pouvoir semer. Il s'agit en fait d'une précaution pour préserver sa jupe de salissures lors d'un travail statique.
- et surtout la présence des gallinacés. Qui laisserait vagabonder la volaille au milieux des semis ?
La carte postale intitulée par erreur "la Semeuse - Square St Bernard (XVIIIe arrt"
Cette jeune fille est bien en train de vanner du grain. Elle procède à la seconde opération du vannage ("nettoyage" du grain récolté), la première consistant à soulever le grain au vent pour que les particules légères (son, débris de paille...) s'envolent. Cette jeune fille élimine les petits éléments lourds (sable, terre...) à travers un tamis qui laisse passer les éléments intrus les plus fins. Ce travail est assez salissant et justifie les précautions vestimentaires de la jeune fille. On comprend également la présence du coq et des deux poules qui viennent là glaner quelque graine tombée du tamis tenu par "La Vanneuse".
La Vanneuse a été fondue en 1942 par le régime de Vichy. Si le plâtre existe toujours, il doit certainement se trouver dans les réserves du musée d'Orsay.