En 1836, dans son ouvrage De la prostitution dans la ville de Paris, le docteur Parent-Duchatelet évoque la prostitution hors les murs de Paris, dans les faubourgs. Il cite les villages de Belleville, La Villette, Montmartre, La Chapelle ou encore Vaugirard où la prostitution est particulièrement dense. En dehors des communes, l'auteur ne précise que quelques lieux comme La Courtille, célèbre lieu de fêtes populaires (et de débauche) au bas de Belleville, mais le premier lieu de prostitution hors les murs qu'il donne en exemple est le boulevard Saint-Ange, ancien nom du boulevard de la Chapelle entre la place de la Chapelle et la rue de la Charbonnière. En effet, comme son voisin le hameau de la Goutte d'Or, le hameau Saint-Ange qui se développe à partir des années 1820 sur la commune de la Chapelle Saint-Denis, le long du mur des Fermiers généraux et du boulevard éponyme (voir sur ce blog l'article "Toponymie"), semble d'emblée investi par la prostitution.
Ancien hameau de Saint-Ange, plan cadastral 1846
(cliquer sur les images pour agrandir)
Du boulevard Saint-Ange au boulevard de la Chapelle
Le développement de la prostitution à cet endroit n'a rien d'étonnant, car le long du mur qui ceint Paris se développe une activité proliférante de bals et de cabarets où non seulement l'alcool est beaucoup moins cher, car échappant aux taxes de l'octroi qui frappent les produits entrant dans Paris, mais aussi car la surveillance policière y est plus rare. Le quartier concentre également une activité de lavoirs, comme l'a évoqué Zola dans L'Assommoir, et dans les faubourgs il n'est pas rare que les blanchisseuses se livrent à la prostitution pour compléter le maigre revenu que leur rapporte le blanchissage.
Cet environnement favorise la prostitution considérée comme la plus basse, qui s'exerce dans des conditions sanitaires et de sécurité déplorables. Ici les "filles" ne vivent pas de la prostitution, elles en survivent à peine.
L'élargissement des frontières de Paris en 1860 va changer la configuration des boulevards avec la destruction du mur des Fermiers généraux qui va permettre de connecter les faubourgs avec Paris entre les anciennes barrières de l'octroi. Cependant, c'est un peu différent du coté du boulevard Saint-Ange, car la destruction du mur des Fermiers généraux ouvre le boulevard sur... un mur! En effet, sur une grande partie du boulevard s'étire le mur d'enceinte de l'hôpital Lariboisière qui lui tourne le dos. Si l'on ajoute les voies de chemin de fer du Nord qui créé une frontière urbaine à l'Est, on retrouve l'ancien hameau Saint-Ange, à présent inclue dans le quartier administratif de la Goutte d'Or, relativement isolé. "Le boulevard de la Chapelle est hémiplégique : son côté droit est mort, paralysé par les mille plaies de la gare du Nord ; c est là le vide; où que plongent les regards, ils ne tombent que sur des raies couvant sur le sol, sur des rameaux multicolores, sur des disques verts, rouges, blancs" (Paris-Soir, 1930).
L'hôpital Lariboisière le long du boulevard de la Chapelle, vers 1880 avant la construction du viaduc du métro
Le bâti de la première urbanisation est peu à peu surélevé ou remplacé par des immeubles de qualité relative, la voirie est mal entretenue et l'air est souvent encombré par les fumées des locomotives de la Gare du Nord toute proche, des fumées qui noircissent les façades et encrassent les vitres du quartier. Cet environnement va maintenir le quartier, délaissé par les pouvoirs publics, dans un état de pauvreté et d'insalubrité avancé et devenir le refuge de toutes les migrations successives, des provinciaux pauvres aux Juifs fuyant les pogroms de l'Europe de l'Est, des Algériens (dès le 19e siècle) jusqu'aux réfugiés qui fuient leur pays en guerre aujourd'hui.
C'est aussi ici que va se développer une pègre que l'on connaitra bientôt comme les Apaches. La prostitution qui s'est durablement installée est très fleurissante, la Gare du Nord voisine et la partie Nord du quartier amenant un flux incessant d'infortunés et d'ouvriers trouvant là les prestations parmi les moins chères de Paris. Car ici on trouve principalement des maisons d'abatage (ou abattage), le prix très faible des passes obligeant les prostituées à multiplier les clients, à abatre un énorme travail, pour gagner de quoi survivre après le prélèvement du proxénète et/ou de l'hôtelier. Certains commentateurs de l'époque estiment que certaines filles pouvaient avoir jusqu'à cent cinquante clients les jours de paie. Il en sera ainsi pour les décennies qui suivront, le boulevard de la Chapelle, avec celui de la Villette plus loin, est à Paris le lieu qui concentre le plus d'établissements destinés au commerce sexuel des plus sordides. Mais qu'on ne s'y trompe pas, si les conditions d'exercice de la prostitution sont ici déplorables, les péripatéticiennes, surnommées les gigolettes, sont sont pas si soumises que cela et savent s'imposer dans leur territoire, et certains le déplorent, comme les "Reines du trottoir" (Frondizi, 2009).
Deux pensionnaires devant le 1 rue Fleury/76 boulevard de la Chapelle
(aujourd'hui c'est l'adresse du FGO Barbara)
Encartées
Jusqu'à la loi de 1946, les prostituées étaient étroitement surveillées et contrôlées par les autorités. Chaque prostituée devait posséder sa "carte" pour pouvoir travailler légalement. Pour être "encartée" une fille devait être soumise au contrôle de l'État et être dûment enregistrée auprès de la préfecture (la préfecture de Paris enregistre 6196 filles en 1906) et subir un contrôle, non pas médical, mais bien sanitaire au moins deux fois par mois.
Carte délivrée par la préfecture, modèle des années 1890
Carte délivrée par la préfecture, modèle de 1906
En cas de contrôle positif à une maladie vénérienne, la syphilis le plus souvent, la fille est envoyée dans l'austère prison Saint-Lazare (les derniers bâtiments de cette ancienne prison sont devenus aujourd'hui la médiathèque Françoise-Sagan dans 10e arrondissement) pour être isolée et y être soignée. Elle ne retrouve sa carte qu'une fois jugée guérie. La carte imprimée sur un carton blanc devient rouge si la prostituée est syphilitique.
Promenade dans la cour de la prison Saint-Lazare, 1907
Mais la plupart des femmes qui se livrent à la prostitution ne sont pas encartées, tentant ainsi d'échapper à la surveillance policière et aux séjours dans l'infâme Saint-Lazare. Si l'on nomme ces prostituées des "insoumises", il n'est question que d'une insoumission relative, toutes ces filles étant le plus souvent sous la coupe d'un souteneur.
La Goutte d'Or, un quartier rouge
Petit à petit et durablement le commerce sexuel va devenir prépondérant sur les autres activités dans un secteur correspondant peu ou prou à l'ancien hameau Saint-Ange et qui comprend le boulevard de la Chapelle, la rue Caplat, le rue de Chartres, la rue Fleury, une partie de la rue de la Goutte d'Or et surtout la défavorablement célèbre rue de la Charbonnière. À cet endroit, le soir venu, c'est le royaume des buveurs, des bandits, des "pédérastes" et des prostituées. La prostitution se partage entre les maisons de tolérance, les hôtels de passe, les débits de boissons et le tapin de rue. "Sur un espace de cent mètres environ, là-haut, boulevard de la Chapelle, entre les numéros 62 et 100 [de la rue de Chartres à la rue de la Charbonnière], vous verrez une dizaine de « bistros » (marchands de vin) — petites boutiques pauvrement installées, mais pleines, tant que dure le jour, de femmes qui, de huit heures du soir à trois heures du matin, se livrent au raccroc dans le quartier. Si vous passez par là, par curiosité, vous apercevrez, à toutes les devantures de ces « troquets » des figures de femmes, collées aux vitres, qui vous souriront, vous feront de l'oeil et des signes de tête disant clairement : Entrez donc " (Victor Leca, Paris-fêtard : guide secret de tous les plaisirs, 1907).
46 boulevard de la Chapelle (photo de René Jacques, 1936)
Les jeunes prostituées font souvent "leurs armes" ici, comme Nana de Zola. Il est courant de trouver des mineures faisant des allées et venues sous le viaduc du métro. "J'ai eu très souvent l'occasion d'en voir sous les arcades du Métropolitain, au boulevard de la Chapelle, qui avaient à peine quinze ans. Elles se tenaient là en groupes riant, chantant des couplets infâmes, ayant, des gestes répugnants. Elles y vont carrément dans leurs offres, il n'y a pas de temps il perdre : C'est quinze sous pour moi et trois sous pour la chambre ; on s'amusera bien" (Armand Villette, Du trottoir à Saint-Lazare : étude sociale de la fille à Paris, 1907).
"Venez donc, beaux bébés roses/Come along sweet babies", Boulevard de la Chapelle, carte postale, 1909
Le quartier fait peur aux Parisiens "respectables", sa réputation est épouvantable, on n'ose s'y aventurer. En 1930, le journal à sensation Paris-Soir, parle ainsi du boulevard de la Chapelle : "(...) sur une longueur d'un kilomètre, le boulevard de la Chapelle dévide le morne écheveau de ses piliers de fonte. L'éclairage immonde de ses réverbères semblables à ceux d'une banlieue sinistre, ajoute à la tristesse de ce coin de Paris d'où partirent un soir, les apaches, à la conquête de Casque d'Or, des Halles, de la rue de la Gaîté. Le sifflement des trains, l'odeur fade de cette humide nuit d'été emplit de stridences et d'écœurement la funèbre galerie du métro. Sous cette voûte, les bancs où, nuit et jour, vivent des mendigots et des ivrognes, où se reposent, un instant, les lamentables prostituées en cheveux raides et en pantoufles ; les bancs où quelques lies détraqués cherchent à fixer leur luxure, où quelques voyous guettent l'occasion d'exploiter ces deux vices : l'ivrognerie et l'amour défendu, les bancs sont le havre, l'hôtel, le lieu de repos. De maigres Algériens, aux yeux inquiétants, y restent des heures, à rêver de petites filles aux jambes grêles ; des manoeuvres, des mendiants, des traîne-misère y prennent leur repas du soir."
Le romancier Francis Carco, grand spécialiste des bas-fonds parisiens et dont une rue du quartier porte le nom, décrit le boulevard de la sorte : J'ai même, un soir, conduit mon plus jeune frère boulevard de la Chapelle, derrière les bâtiments de l'hôpital Lariboisière et lui ai demandé de quels détails il tiendrait compte s'il avait à faire une description de ce quartier. Le fronton de la morgue dépassait le mur du boulevard. Par moments, des panaches de fumée, rabattus par le vent, nous arrivaient de la direction de la gare du Nord. Ils flottaient dans l'air gris, immobile, où l'approche du printemps se devinait à une douceur, à une mollesse exquises. Sous la voûte du métro. des filles racolaient machinalement les passants que des clochards, allongés sur les bancs pour y passer la nuit parmi leurs sacs de croûtes, suivaient d'un œil stupide, désabusé. Il y avait beaucoup de monde ; les trams, les autobus roulaient et lorsqu'une rame de wagons passait au-dessus de nos têtes, elle ébranlait la galerie, les piliers, la chaussée, les trottoirs d'une imperceptible vibration" (Marianne, 13 octobre 1937).
DU STATUT DES ÉTABLISSEMENTS
Après l'Ancien Régime, la règlementation qui régie les établissements qui abritent des activités de prostitution a peu évolué, de son apparition sous le Directoire jusqu'à leur interdiction en 1946 avec la loi dite Loi Marthe Richard. Mais dans la pratique, même si leur nombre a fortement diminué après la loi de 1946, plusieurs de ces établissements ont continué leur activité dans le quartier jusque dans les années 1970, au vu et au su des autorités.
Avant 1946, les établissements se partagent en plusieurs catégories, plus ou moins officielles :
Rue de la Charbonnière : "la pieuvre aux vingt tentacules"
Prostituée de rue, rue de la Charbonnière (photo de René Jacques, 1936)
Dans le quartier, une rue est particulièrement connue pour être presque entièrement dédiée à la prostitution : la rue de la Charbonnière. En effet, la rue de la Charbonnière est un véritable "quartier rouge" à elle toute seule. "Rue de la Charbonnière, où les femmes fanées embusquées dans de misérables bâtisses, appellent le passant à de pauvres plaisirs" (Paris-Soir, 3 août 1930). On va jusqu'à la surnommer "la pieuvre aux vingt tentacules" tant il y serait difficile d'échapper aux du vice dans cette artère.
Dans ses Souvenirs paru en 1928, Gustave Le Rouge prête à son ami Paul Verlaine les propos suivants : "Et ces filles qui, rue de la Charbonnière - une rue emputanée, eût dit Rabedais, - et cela depuis des siècles (sic), qui tenaient, littéralement, boutique de leurs charmes, comme cela se fait encore, parait-il, a Naples et à Tunis. C'est pour vous que je parle, ajouta Verlaine avec un bon sourire, vous êtes trop gosse pour avoir connu tout ça. Rue de la Charbonnière - une petite rue étroite et sale, aux maisons basses - les filles « folles de leur corps » - encore est-ce bien sûr ? - occupaient chacune un rez-de-chaussée où, parées comme des idoles, les fenêtres grandes ouvertes, elles attendaient. S'il survenait un client, elles tiraient le rideau. "
Le Journal Amusant, 27 décembre 1924
Croisement des rues de Chartres et de la Charbonnière (place St Ange jusqu'en 1877)
UN BORDEL PATRIOTE
Au 40 rue de la Charbonnière, se tenait l'Hôtel du Midi, petit hôtel de passe abritant un débit de boissons au rez de chaussée. En 1916, en pleine Première Guerre mondiale, le journal Les Hommes du Jour nous apprend très amusé que dans l'entrée de l'hôtel, un écriteau a été apposé, précisant :
"MAISON FRANÇAISE
Entré interdite aux Allemands"
Voilà un commerce bien patriote ! Mais en 1916, les Allemands sont bien rares à Paris, c'est donc un patriotisme à bon compte qui ne sacrifie que peu le chiffre d'affaire.
Hôtel du Midi en 1936 (photo de René Jacques)
En vitrine !
La cohabitation entre les habitants et les prostituées de rue ne se fait sans heurts. En effet, à de nombreuses reprises les habitants du quartier ont manifesté leur réprobation quand la prostitution était jugée trop envahissante, notamment quand l'interdiction de racolage de jour n'était pas respectée. Si l'on en juge un article du journal Le Petit Parisien daté du 29 juin 1913 et titré "Épuration nécessaire", la vague de protestations est conséquente : "Un groupe d'habitants du quartier de la Goutte-d'Or mène en ce moment une campagne destinée à faire cesser le scandale permanent que présentent la rue de la Charbonnière et certaines rues avoisinantes. Ils demandent à la police de les débarrasser des femmes et des gens sans aveu qui s'y tiennent le soir. Un ordre du jour en ce sens a vite été voté en réunion, à l'école de la rue Jean-François Lépine, par 1500 assistants."
Prostituée, 37 rue de la Charbonnière
Mais quand l'interdiction de racolage est respectée, les filles n'en sont pas pour autant moins visibles. "Derrière leurs vitres, devant les comptoirs, des filles sont postées qui cognent au carreau pour appeler les passants Jadis, les trottoirs étaient infestés de ces malheureuses : une plainte des habitants eut pour effet de leur interdire le stationnement sur la voie publique. Alors les cafés les recueillirent et les arrière-boutiques servirent d'alcôves" (Léon Bonneff, Marchands de folies, 1913).
Le temps passe, mais les récriminations des habitants ne changent pas. "Aux heures de la matinée où le boulevard de la Chapelle est le plus fréquenté par les allées et venues des travailleurs gagnant le bureau, l'usine ou l'atelier, les passants sont importunés par l'insistances de certaines « professionnelles » qui, sur le seuil des nombreux hôtels installés sur le boulevard ne se gênent point pour les interpeller. A ces mêmes heures, les jeunes gens et les jeunes filles, qui vont travailler, les enfants qui se rendent à l'école sont témoins de ces scènes inconvenantes et les pères et mères du quartier intéressé attendent du préfet de police qu'il intervienne' pour qu'elles cessent aussitôt que possible. Il s'agit de rappeler à la décence et ces dames et les hôteliers du quartier : une intervention immédiate des pouvoirs publics devient nécessaire, car nombre de gens se disposent à dire leur fait à ces importuns, mieux vaudrait éviter de scandaleux incidents" (Paris-Soir, 25 août 1926).
Pour approfondir cette question de la difficile cohabitation entre les habitants et le commerce sexuel à la Goutte d'Or, on lira avec grand intérêt les travaux du jeune chercheur en Histoire Alexandre Frondizi (références en fin d'article).
LA POLICE LOGE AU BORDEL
La Goutte d'Or possède son commissariat rue de la Goutte d'Or, juste au-dessus du quartier de la prostitution. Mais pour mieux contrôler le territoire qui se partage entre voyous et maquereau, prostituées et clochards, la préfecture de police ouvrit un poste supplémentaire : la vigie Fleury. Situé au rez-de-chaussée du bâtiment situé à l'angle du boulevard de la Chapelle et de la rue Fleury, ce poste de police a remplacé un café répondant au doux nom d'Au Retour des hirondelles.
Emplacement stratégique s'il en est, à deux pas des rues de la Charbonnière et de Chartres et offrant une vue dégagée sur le boulevard de la Chapelle, cette adresse est aussi celle... d'un hôtel de passe ! En effet, le Royal Hôtel, situé dans les étages supérieurs et dont l'entrée était située au 4 rue Fleury, abritait un activité de prostitution qui va continuer ici jusque dans les années 1970, pas le moins du monde dérangée par sa vigie de voisine.
Aujourd'hui, les bâtiments de la petite rue Fleury ont tous disparus et cette adresse est devenue beaucoup plus calme, étant celle de la bibliothèque de la Goutte d'Or.
La vigie Fleury dans les années 1970
Du claque au "souk"
L'année 1946 va marquer un tournant pour la prostitution avec la loi du 13 avril qui interdit les maisons de tolérance. Les locaux ayant abrité des maisons closes sont réquisitionnés pour être transformés en logements pour les étudiants. C'est ce qui aurait dû être le cas du 1 rue Fleury/76 boulevard de la Chapelle, mais en 1949 la maison a été considérée par l'autorité publique comme "inutilisable en raison de son état", ce qui en dit long sur les conditions dans lesquelles la prostitution s'exerçait ici. Le 106 du boulevard de la Chapelle reviendra lui à l'Armée du Salut.
Mais si les maisons de tolérance sont fermées, les hôtels de passe vont continuer tant bien que mal à abriter du commerce sexuel, en toute illégalité et en jouissant d'une certaine impunité. Mais l'activité diminue et le parc immobilier mal entretenu, les chambres crasseuses des garnis et la réputation entachée du quartier obligent les hôteliers et autres loueurs à s'ouvrir à une clientèle dont personne ne veut ailleurs, à savoir des personnes "défavorablement connues de la justice" et des travailleurs pauvres, notamment de nombreux Algériens que l'on surnomme avec mépris les "bicots" ou les "sidis". Le Sud du quartier de la Goutte d'Or commence à devenir le "quartier arabe" qu'il est encore. Cette partie du quartier prend alors le surnom péjoratif et raciste de souk.
Au croisement des rues de Chartres et de la Charbonnière, Paris-Match, 20 juin 1955
Dans le souk, le commerce sexuel doit s'adapter à la nouvelle clientèle arrivée d'Afrique du Nord et qui devient prépondérante. Mais cela se passe difficilement, les prostituées rechignent à accepter les hommes arabes comme clients. En 1948, une ancienne prostituée, Marie-Thérèse, décrit sa confrontation avec la clientèle maghrébine : "Boulevard de La Chapelle, où je suis finalement rentrée, c'était aussi une taule d'abattage et aussi pleine de Bicots, ils me dégoûtaient, mais la taulière m'a dit : « Si tu veux travailler ici, il faut les faire ». Si avant on "se formait au métier", à présent c'est ici que se finissent, mal, les carrières des prostituées. L'opposition des prostituées est telle que les tenanciers font venir des prostituées algériennes pour une clientèle qui finit par être presque exclusivement arabe. La vision ségrégatrice coloniale française est transposée ici, le travail sexuel s'organise dans une division raciste comme dans les colonies.
Rue de Chartres, (photo de Claude Vénézia, 1973)
Les derniers hôtels de passe finissent par fermer dans les années 1970. Dans les années 1980, la réhabilitation du Sud du quartier de la Goutte d'Or va effacer les traces de ce passé peu glorieux. En effet, la destruction quasi systématique des immeubles anciens, pas toujours insalubres, a laissé place à de nombreuses constructions sans grâces et sans style. Le souvenir de la Goutte d'Or comme un haut lieu de la basse prostitution et celui des milliers de femmes qui ont vécu ici une vie pour le moins difficile, durant pratiquement cent cinquante ans, s'en sont ainsi allés.
NOTA: Depuis quelques années, une prostitution de rue s'est réinstallée, plus au Nord dans le quartier. Mais nous ne traiterons pas de ce sujet ici, car ce n'est pas l'objet de ce blog et surtout par égard pour ces femmes.
Annexes
Tableau des établissements liés à la prostitution.
Précisions:
Enseigne |
Adresse |
Activité |
Propriétaire / gérant |
50 boulevard de la Chapelle |
Débit de boissons |
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56 boulevard de la Chapelle |
Débit de boissons |
Gannac (1881) Merandon (1901) |
Grand Hôtel de l'Aveyron Hôtel de Chambery |
60 boulevard de la Chapelle / 1 rue de Chartres |
Hôtel / Débit de boissons |
Valette (1879) Goutal (1881) Bezou (1901) |
Hôtel de Metz |
62 boulevard de la Chapelle |
Hôtel / Débit de boissons |
Koob (1896) Eger (1901) |
|
66 boulevard de la Chapelle |
Débit de boissons |
Chauvin (1901) |
|
72 boulevard de la Chapelle |
Hôtel / Débit de boissons |
Bougnot (1881) Danty (1901) |
74-76 boulevard de la Chapelle |
Débit de boissons |
Jean-Baptiste Isidore Leroy (1863) |
|
Au Retour des Hirondelles |
74boulevard de la Chapelle / 2 rue Fleury |
Débit de boissons |
Hilt (1881) Courbebaisse (1889) Brunet (1901) Vicaire (1909) Canis (1915) |
Hôtel Fleury Royal Hôtel |
74 boulevard de la Chapelle / 2-4 rue Fleury |
Hôtel |
|
Vigie Fleury |
74 boulevard de la Chapelle / 2 rue Fleury |
Poste de police |
|
1 (76) |
76 boulevard de la Chapelle / 1 rue Fleury |
Maison de tolérance |
Benoît |
|
80 boulevard de la Chapelle |
Débit de boissons |
Marly (1901) Boutonnet (1920) |
Hôtel de Bruxelles |
80 boulevard de la Chapelle |
Hôtel |
|
Hôtel de Strasbourg |
82 boulevard de la Chapelle |
Hôtel / Débit de boissons |
Gaillard (1879) Ambriester (1896) Gamet (1901) |
|
90 boulevard de la Chapelle |
Débit de boissons |
Duluc (1901) |
|
92 boulevard de la Chapelle / 31 rue de la Charbonnière |
Hôtel |
Costerousse (1881) Gilibert (1896-1920)
|
|
94 boulevard de la Chapelle |
Débit de boissons |
Bardou (1896-1901) |
|
96 boulevard de la Chapelle |
Débit de boissons |
Arnould (1881) Petit (1901) |
Estaminet de France |
98 boulevard de la Chapelle / 37 rue de la Charbonnière |
Hôtel / Débit de boissons |
Dupuis (1853) Vargnier (1880) Veuve Poillot (1901) Gaillot (1920) |
|
100 boulevard de la Chapelle |
Débit de boissons |
Petit (1881) Rougé (1896) Cucuel (1901) Boimond (1920) |
|
102 boulevard de la Chapelle |
Débit de boissons |
Veuve Despaquis (1881) |
Hôtel du Haut-Rhin Grand Hôtel |
104 boulevard de la Chapelle |
Hôtel |
Pouget (1896-1905) Delcassan (1905-)
|
|
104 boulevard de la Chapelle |
Débit de boissons |
Jeanpierre (1896) Lamette (1898-1901) |
106 |
106 boulevard de la Chapelle |
Maison de tolérance |
Jeanne |
Hôtel de Bourgogne
|
108 boulevard de la Chapelle |
Hôtel / Débit de boissons |
Eugène Parisot (1886) Jules Ortola (1894-1896) |
|
112 boulevard de la Chapelle |
Débit de boissons |
Vernet (1881) |
Hôtel de l’Europe |
114 Boulevard de la Chapelle |
Hôtel / Débit de boissons |
Bouloc (1881) Cormières (1896-1901) |
|
3 rue Caplat |
Débit de boissons |
Gaillard (1894) |
|
5 rue Caplat |
Débit de boissons |
Delavier (1894) |
L’Ètoile du Nord |
7 rue Caplat |
Hôtel / Débit de boissons |
Biron (1894-1896) |
|
9 rue Caplat / 47 rue de la Goutte d’Or |
Débit de boissons |
Hirshberger (1879) Séquard (1881) Martin (1894) |
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2 rue de Chartres |
Débit de boissons |
Civiel (1881) Bricout (1920) Montpentel (-1933) Augrandmeny (1933-) |
|
4 rue de Chartres |
Hôtel / Débit de boissons |
Witz (1901) Delaie (1920) |
|
5 rue de Chartres |
Débit de boissons |
Gineston (1901) Echalier (1920) |
|
6 rue de Chartres |
Hôtel / Débit de boissons |
Auzole (1901) Gardes (1920) |
|
7 rue de Chartres |
Débit de boissons |
Burn (1920) |
|
8 rue de Chartres |
Débit de boissons |
Salmah (-1936) Zemali (1936-) Zeghoudi (-1938) Salah (1938-) |
Hôtel de Calais |
10 rue de Chartres |
Hôtel / Débit de boissons |
Masson (1881) Valdemane (1901) Kholer (1920) |
12 rue de Chartes |
Hôtel / Débit de boissons |
Fabre (1901) |
|
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13 rue de Chartres |
Débit de boissons |
Randon (1881) Defay (1901) |
|
14 rue de Chartres |
Débit de boissons |
Passelac (1901) Chassang (1920) Gineston (1934) |
|
18 rue de Chartres |
Débit de boissons |
Cabrolier (1881) Coupiac (1901) Gouteronde (1920) |
|
21 rue de Chartres |
Débit de boissons |
Boudelot (1901) Guénard (1920) |
|
22 rue de Chartres |
Débit de boissons |
Marmès (1920) |
|
23 rue de Chartres |
Débit de boissons |
Abdelkader Hamadouche, Zianni Ellouel, Mohammed Ghomari (-1937) Mohammed Guenineche (1937-) |
Hôtel beau-Séjour |
25 rue de Chartres |
Hôtel / Débit de boissons |
Charlot (1881) Escuder (-1934) Carriere (1934-) |
|
26 rue de Chartres |
Débit de boissons |
Testas (1901) |
|
28 rue de Chartres |
Hôtel / Débit de boissons |
Cassan (1920) |
|
31 rue de Chartres |
Hôtel / Débit de boissons |
Boulet (1920) Mille et Hoch (-1935) Marcel Bordel (1935-) |
|
33 rue de Chartres |
Hôtel / Débit de boissons |
Lavergne (1901) |
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40 rue de Chartres |
Débit de boissons |
Raynal (1920) |
Hôtel du Transvaal |
42 rue de Chartres |
Hôtel |
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Café de la Pointe |
44 rue de Chartres |
Débit de boissons |
Olivier (1901) Pytre (1920-1933)
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2 rue de la Charbonnière |
Débit de boissons |
Cadolle (1901) Madame Labarthe (-1921) |
|
3 rue de la Charbonnière |
Débit de boissons |
Jacques (1901-1920) |
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4 rue de la Charbonnière |
Hôtel / Débit de boissons |
Laffon (-1906) Vergongeanne (-1908) Planchon (1908-) Madame Chalvignac (1916) Deneboulde (1920) |
Grand Hôtel de la Victoire |
9 rue de la Charbonnière |
Hôtel / Débit de boissons |
Soucquet (1881-1891) Bertrand (1891-) Moisset (1897) Fabre (1901) Cattet (1920) Société de la Victoire (1928) |
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10 rue de la Charbonnière |
Débit de boissons |
Gros (1881) Bottolier-Dunand (1882-) Bardinet (1901) |
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11 rue de la Charbonnière |
Débit de boissons |
Vayssade (1901) Vinait (1930) |
|
12 rue de la Charbonnière |
Hôtel / Débit de boissons |
Noal (1881-1901) Vidalain (-1909) Carron (-1912) |
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14 rue de la Charbonnière |
Débit de boissons |
Desarthe (1901) |
|
17 rue de la Charbonnière |
Débit de boissons |
Belzacq (1887) Beauvais et Cie (1901) Ginard (-1933) Marsaud (-1937) Veuve Guiard (1937-) |
|
18 rue de la Charbonnière |
Débit de boissons |
Sinègre (1881-1901) |
La Cigogne |
19 rue de la Charbonnière |
Débit de boissons |
Robert (1901) Brazès (1920) |
Au Soleil d’Or |
21 rue de la Charbonnière |
Hôtel |
Aumont (-1906) Eugénie Vincent ép. Maçon (1928) |
20 rue de la Charbonnière |
Débit de boissons |
Gallot (-1900) Lucin (1900-) |
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Hôtel Saint-Ange |
22 rue de la Charbonnière |
Hôtel |
Simon (1901-1912) Cousteix (1912-) |
Clair de Lune |
22 rue de la Charbonnière |
Débit de boissons |
Madame Claude (1932) |
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23 rue de la Charbonnière |
Hôtel / Débit de boissons |
Madame Renault(1927) |
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24 rue de la Charbonnière |
Débit de boissons |
Gheduzzi (1896) Avril (1901) Henry (1920) Madame Grimm (-1938) Salah (1938-) |
25 |
25 rue de la Charbonnière |
Maison de tolérance |
Munsinger (1885) Caumartin (1896) Grossetête (1897) Millioz (1901) |
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27 rue de la Charbonnière |
Débit de boissons |
Vergnaud (1895) |
29 rue de la Charbonnière |
Débit de Boissons |
Madame Borel (-1889) |
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32 rue de la Charbonnière / 2 rue Caplat |
Débit de boissons |
Rouquet (-1896) Molinier (1894) |
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33 rue de la Charbonnière |
Hôtel / Débit de boissons |
Leroy (1879) Claude (-1880) Sabrazès (1880-1882) Mercou (1882-) Richard (1901) |
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34 rue de la Charbonnière |
Débit de boissons |
Laborde (1901) Terville (-1937) Cuvellier (1937-) |
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35 rue de la charbonnière |
Hôtel / Débit de boissons |
Petit (-1879) Veuve Petit (1879-1881) Coliard (1901) Fernand et Louis Bonnefoy(1932) |
36 rue de la Charbonnière |
Débit de boissons |
Hébert |
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Hôtel du Midi |
40 rue de la Charbonnière |
Hôtel / Débit de boissons |
Bonnet (1901-1920) Veuve Valade (-1936) Pilorget (1936-) Madame Tetu (-1938) Mademoiselle Chagneaud (1938-) |
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42 rue de la Charbonnière |
Débit de boissons |
Delbor (1920) |
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11 rue de la Goutte d’Or |
Hôtel |
Labarthe (1920) |
Grand Hôtel d’Alger |
15 rue de la Goutte d’Or |
Hôtel |
Mme Charmelet (1920) |
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19 rue de la Goutte d’Or |
Débit de boissons |
Favier (1920) |
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21 rue de la Goutte d’Or |
Débit de boissons |
Combes (1920) |
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27 rue de la Goutte d’Or |
Débit de boissons |
Schill (1920) |
Hôtel de la Goutte d’Or |
28 rue de la Goutte d’Or 28 / 1 rue des gardes |
Hôtel / Débit de boissons |
Lecuir (hôtel - 1874) Viguier (Débit – 1920) |
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29 rue de la Goutte d’Or |
Débit de boissons |
Calsat (1920) Maurice Jossin (1933) |
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34 rue de la Goutte d’Or |
Débit de boissons |
Grillon (1920) |
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36-38 rue de la Goutte d’Or |
Débit de boissons |
Wiart (1920) |
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37 rue de la Goutte d’Or |
Débit de boissons |
Brégou (1904-1920) Hivert (-1929) Massari (1929-) |
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42 rue de la Goutte d’Or |
Débit de boissons |
Soubatre (1920) |
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44 rue de la Goutte d’Or |
Hôtel / Débit de boissons |
Duraton (1920) |
Hôtel du Chemin de Fer du Nord |
3 rue Fleury |
Hôtel / Débit de boissons |
Mainfroy (1862) Noël (1887) Durand (1893) Albaret (1896) |
Hôtel Phenix |
3 rue des Islettes |
Hôtel |
(1920-1938) |
Références
Pour approfondir ce sujet, on lira avec intérêt: