• Les Apaches à la Goutte d'Or

     

    La bande la Goutte d'Or

     

    Le 17 avril 2009, un article du journal Le Parisien nous informe qu'une bande de la Goutte d'Or règle ses compte avec une bande de Clignancourt. Voilà une nouvelle qui à priori semble bien inquiétante. Que nous dit cette information ? Est-ce le symptôme d'une époque ? Doit-on y voir une dérive d'un "communautarisme" ? Est-ce là un signe d'un phénomène d'une modernité anxiogène ? "N'était-ce pas mieux avant ?" se demande le brave citoyen. Regardons donc ce qui se passait "avant" pour voir ce qu'il en était. Retournons un siècle en arrière et feuilletons le journal quotidien La Lanterne dans son édition du 10 octobre 1905. Et on y apprend… qu'une bande de la Goutte d'Or règle ses comptes avec une bande de Clignancourt, déjà. Rien de bien nouveau en somme.

     

    Les Faits Divers Illustrés"Les Apaches (du boulevard) de la Chapelle" Les Faits-Divers Illustrés, 22 novembre 1908

    (Cliquer sur les images pour agrandir)

     

    Effectivement, le phénomène de bandes de délinquants attachées à un territoire, en l'occurrence à des quartiers populaires, n'est pas né avec les "bandes de racailles" dans les "cités", ni même avec les "Blousons noirs" des années 1960, mais bien avant, à la Belle Époque, avec les bandes d'Apaches. Car en 1905, le règlement de compte entre la Goutte d'Or et Clignancourt est une histoire d'Apaches. Mais ne nous y trompons pas, les guerriers de Geronimo ne se sont pas installés à Paris pour terroriser les faubourgs, ces Apaches là sont des gars du cru.

     

    La naissance des Apaches 

     

    Les Apaches à la Goutte d'Or"Conférence apache" Carte postale humoristique

     

    Le nom d'Apaches est associé aux bandes de jeunes malfaiteurs sévissant dans les faubourgs parisiens durant le premier quart du du XXe siècle. Ce nom générique vient initialement de celui de la Bande des Apaches, une bande de Belleville active vers 1900 et dirigée par Léon Magnin. La fascination populaire exercée par la résistance de Geronimo aux États-Unis, le célèbre chef Apache, explique ce choix de baptême.

    On lit souvent que ce vocable d'Apaches serait né sous la plume de deux journalistes, Arthur Dupin et Victor Morris, et qu'il aurait été repris ensuite par des bandes organisées de malfrats pour se définir elles-mêmes. L'historienne Michèle Perrot situe ce baptême en 1902. En fait, cette théorie ne tient pas face à de simples éléments factuels. En effet, initialement il semble que ce soit bien la bande de Magnin qui s'est elle-même donné ce nom, comme en font foi, par exemple, un article du Matin daté du 30 juin 1900 et un autre du 2 août 1900, ou encore un article de l'Aurore du 1er juillet 1900. 

     

    Les Apaches à la Goutte d'Or
    Extrait d'un article du journal Le Matin "Les sauvages de Belleville", 30 juin 1900

     

    Les Apaches à la Goutte d'Or
    Extrait d'un article du journal Le Matin "Arrestation du chef des Apaches", 2 août 1900

     

    Les Apaches à la Goutte d'Or
    Extrait d'un article du journal L'Aurore "Féroces bandits", 1er juillet 1900

     

    Mais cette bande a été vite oubliée et très vite c'est une autre bande de Belleville à qui, à tort semble-t-il, la presse a attribué le nom de Bande des Apaches. Il s'agit de la bande menée par François Dominique, dit Leca, et qui a connu une grande médiatisation avec la figure de "Casque d'Or", une prostituée nommée Amélie Élie qui fit chavirer les coeurs des voyous de Belleville. Suite à cette affaire, une pièce de théâtre "Les Apaches de Paris" de MM. Privat, Lordon et Delille, est créée le 17 octobre 1902 au Théâtre du Château d'Eau. Inspirée par l'affaire de Casque d'Or, la pièce est jouée alors que le procès de la tierce de Leca se tient à la cour d'assises de Paris. Cette pièce sera adaptée en 1952 au cinéma par Jacques Becker, Simone Signoret incarnant pour la postérité le rôle de Casque d'Or.

     

    Casque d'Or
    Amélie Élie, dite "Casque d'Or"

     

    La figure de l'Apache est née. La presse se chargeant ensuite de populariser et généraliser le nom. L'Apache est donc un membre de la pègre des faubourgs, mais se qui le différencie du truand traditionnel c'est sa proximité relative avec les milieux anarchistes, son goût pour les tenues vestimentaires élégantes et son appétence à "se montrer". Son accoutrement s'identifie facilement avec les trois accessoires indispensables au "look" de l'Apache, à savoir: le couteau à cran d'arrêt modifié, la chemise (joliment) froissée et surtout la casquette à trois ponts surnommée la "deffe" ou la "bâche". 

     

    Modigliani
     "Apache" Gouache sur papier de Modigliani(1904)

    Un Apache et sa gigolette
    Un Apache et sa gigolette, Le rire 02 septembre 1911

     

    Mais que fait la police ?

    Si le nom d'Apaches apparait vers 1900, ce phénomène de bande est antérieur. Dès la fin du XIXe, la presse se fait l'écho des méfaits de ces bandes pleines de culot, dont l'âge des membres varie de quinze à vingt-cinq ans.  Le taux de criminalité qui avait un peu baissé jusqu'en 1900 commence à exploser dès 1901, des taux de très loin supérieurs à ceux qu'on peut connaitre aujourd'hui. Le développement du phénomène largement relayé par les presse créé une vraie panique morale dans la population. On a peur de s'aventurer d'abord dans les faubourgs parisiens, mais bien vite c'est dans tout Paris que l'on tremble et même partout en France. Aussi, les Apaches cherchent à contrôler "leur" territoire, et les conflits entre bandes sont légions. La panique gagne plus encore et l'Apache devient le nom qu'on accole à toute forme de délinquance ; on finit par voir des Apaches partout! 

    On reproche aux forces de police leur inaction, leur incapacité à agir, voire leur frousse devant les Apaches. Certains commentateurs de l'époque vont même accuser les pouvoirs publiques et les policiers de complicité active avec les bandes d'Apaches. En première ligne de ces critiques se trouve le préfet Lépine.

     

    Paname est  Apache
    "Paname est Apache" M. Garcia

      

    Louis Lépine est préfet de police de Paris de 1893 à 1897 et de 1899 à 1913, période phare des Apaches. Le préfet Lépine (celui du Concours Lépine, à ne pas confondre avec Jean-François Lépine de la rue éponyme du quartier de la Goutte d'Or) est alors sur la sellette, et est l'objet de bien des railleries et de reproches pour son incapacité à vaincre les Apaches. Politiques et éditorialistes se plaisent à l'accuser de n'être qu'un doux protecteur pour les Apaches. Il trouve tout de même quelques défenseurs et garde la confiance de son ami Clemenceau. Pourtant, Lépine va multiplier les actions pour tenter de venir à bout de ce phénomène, comme la création de la police scientifique (celle qui fût catastrophique dans l'affaire de l'Ogresse de la Goutte d'Or), ou encore les fameuses "brigades du Tigre" (brigades régionales mobiles). Il va également avoir recours à des méthodes plus originales.

      

    Lépine"M. Lépine protégeant les petits travailleurs et chassant les Apaches (jouet animé)" Le Journal du Dimanche 1902

     

    Attaque!

    Voulant reprendre l'initiative, le préfet Lépine va tester de nouvelles méthodes. Ainsi il généralise l'utilisation de chiens policiers qui avait été expérimentée plus tôt à Neuilly sur Seine. C'est pour lutter contre les Apaches que sont nées les brigades canines en France. Pour rassurer la population qui gronde, on organise des démonstrations  de chiens d'attaque lors de manifestations publiques, on parle de l'initiative dans les journaux, on édite des cartes postales de propagande, on trouve même en librairie Les mémoires de Poum, chien de police, édités en 1913. Ce n'est pas tant qu'elle est efficace, mais cette méthode spectaculaire tend à rassurer le bourgeois en panique.

     

    Les Apaches à la Goutte d'Or Les Apaches à la Goutte d'Or Les Apaches à la Goutte d'Or 
    Chiens d'attaque dressés contre les Apaches, vers 1900-1910 

     

    Les chiens de police
    "Les chiens de police à Paris ; MMrs les Apaches n'ont qu'à bien se tenir…" Le Grand Illustré 17 mars 1907 

     

    Dans les journaux, c'est la surenchère de propositions pour stopper les Apaches. Les uns prônent le bagne, les autres somment les policiers d'abattre systématiquement tout ce qui ressemble à un Apache. On prône beaucoup l'auto-défense armée, comme le Journal du Dimanche qui propose tout un éventail d'armement pour équiper le bon citoyen.

     

    Contre les Apaches  
    "Défendons-nous contre les Apaches" Le Journal du Dimanche 12 mars 1911

     

    Finalement, c'est la Première Guerre Mondiale qui va marquer le plus grand coup d'arrêt au phénomène des bandes d'Apaches. Certes, le banditisme, la criminalité et le proxénétisme n'ont pas disparu après-guerre, mais on ne parle plus spécifiquement d'Apaches à partir des années 1920. L'élégance arrogante des l'Apaches disparaît au profit de tenues plus discrètes.

     

    Les Apaches à la Goutte d'Or
    Extrait d'un article du journal Le Javelot, "Le dernier salon ou l'on cause", 10 novembre 1923

     

    Danse Apache

    Seul souvenir des Apaches qui perdurera, c'est la "danse Apache" qui a connu un grand succès à travers le monde jusqu'au début de la Seconde Guerre Mondiale. Elle est née vers 1910 et a connu ses beaux jours dans les années 1920-1930. La danse Apache est une chorégraphie acrobatique qui mime une querelle violente entre un Apache et sa gigolette.  La danse est sulfureuse et fait scandale, on y voit une incitation au crime et à la débauche. En 1910, les tenanciers de bals publics de Berlin ont décidé de ne plus tolérer dans leurs établissements la "danse des Apaches" déclarée "inesthétique et inconvenante".

     

    Danse Apache
    "Chronique londonienne" revue Akademos (première revue "gay" française) 15 juillet 1909

     

    Danse apache 
    "Danse Apaches" Cartes postales par Alice Huertas

     

     

    Danse Apache, 1934

     

    La Goutte d'Or, territoire apache

    La Goutte d'Or, quartier populaire s'il en est, et haut lieu de la pègre et de la basse prostitution, est évidemment en proie aux Apaches. La partie Sud du quartier est largement investie par des bandes, qui se font et se défont au gré des morts et des arrestations de leurs membres.

     

    Les Apaches à la Goutte d'Or
    Le Matin, 30 septembre 1903

     

    Le boulevard de la Chapelle qui aligne garnis, hôtels douteux et maisons de passe est une des artères les moins sures de Paris. Le soir, les agressions, les crimes et les règlements de compte y sont légions. La rue de la Charbonnière est une voie presque entièrement consacrée à la prostitution, et comme on peut s'y attendre on y croise fréquemment des Apaches en parade. 

     

    CPA boulevard de la Chapelle
    "Boulevard de la Chapelle; Venez donc, beaux bébés roses" carte postale humoristique, 1909

     

    Rue de la Charbonnière
    Le Journal Amusant, 27 décembre 1924

      

    1 rue Fleury
    Deux pensionnaires devant la maison Benoit, "maison de société" au 76 boulevard de la Chapelle/1 rue Fleury
    (remplacé aujourd'hui par le Centre Fleury Goutte D'or-Barbara)

     

    Mais le reste du quartier de la Goutte d'Or n'est pas en reste. Le Bal Polonceau, au numéro 51 de la rue du même nom  et le Bal Adrien, 47 rue Myrha, sont largement investis par les Apaches, on y danse apache et on y joue à l'occasion du couteau ou du pistolet. Ces "bals des vaches" sont évidemment surveillés de très près par les policiers, notamment ceux des "moeurs". Rappelons-le encore, chez les Apaches, on dévalise, on vole, on venge, on tue, mais on a aussi un grand sens de la fête et de la gaudriole!

     

    Bals
    "Les bas-fonds du crime et de la prostitution" par M. Jean, 1899

     

    Rue Myrha
    Fusillade rue Myrha, Le XIXe Siècle, 26 août 1908

     

    La Lionne et la Bande de la Goutte d'Or

    En 1897, quelques années avant Casque d'Or et ses Apaches, une autre figure fit les délices des chroniqueurs. Marie Lyon (ou Lion?), dite "La Grande Marie" ou "La Lionne", est une prostituée dont s'est amourachée la Bande de la Goutte d'Or. Un certain Louis Lochain, dit "Petit Louis", en est le chef ; avec ses camarades Auguste Fauconnier, dit "Le Félé", Auguste le Bastard, dit "Barre-de-Fer", Léon Millet, dit "Dos-d'Azur", Léopold Schmitt, dit "Monte-En-L'Air", et quelques autres, ils écument les débits de boisson et les marchands de comestibles et font main basse  sur les alcools et les victuailles. Leur larcin, quand il n'est pas directement consommé, est revendu à bas prix dans un local s'affichant abusivement comme une "Succursale des Magasins généraux de Paris", au 114 rue de Belleville. 

     

    Rue de Belleville
    Rue de Belleville vers 1900 (le n° 114 est le 2e immeuble en partant de la droite)

     

    C'est La Lionne qui règne sur cette adresse et qui prépare les agapes pour ses voyous d'amants. Car les membres de la Bande de la Goutte d'Or sont tous les amants dévoués de La Lionne et s'accommodent très bien de cette situation. Tout semble aller au mieux pour cette joueuse troupe, jusqu'au 28 avril 1897, jour ou une descente de police vient mettre fin aux frasques de La Lionne et la Bande de la Goutte d'Or. 

     

    La Lionne
    "Une bande joyeuse" La Matin, 30 avril 1897

     

    La nouvelle paraît dans les quotidiens parisiens. C'est ainsi qu'Aristide Bruant, célèbre voisin montmartrois de la Goutte d'Or, découvre l'histoire de Marie Lyon et ses amants dans l'Écho de Paris. L'histoire ne peut pas laisser Bruant insensible, il va s'en inspirer pour écrire une chanson, La Lionne, et faire entrer Petit-Louis, Dos-d'Azur, Monte-en-l'Air, Le Félé et Barre-de-Fer dans la postérité.

     

    La Lionne, d'Aristide Bruant

    Rouge garce... A la Goutte‐d'Or
    Elle reflétait la lumière
    Du chaud soleil de Thermidor
    Qui flamboyait dans sa crinière.
    Ses yeux, comme deux diamants,
    Irradiaient en vives flammes
    Et foutaient le feu dans les âmes...
    La Lionne avait cinq amants.

    Le Fêlé, la Barre de Fer,
    Petit‐Louis le grand chef de bande,
    Et Dos‐d'Azur... et Monte‐en‐l'Air
    Se partageaient, comme prébende,
    Les soupirs, les rugissements,
    Les râles de la garce rouge
    Et cohabitaient dans son bouge...
    La Lionne avait cinq amants.

    Et tous les cinq étaient heureux.
    Mais, un matin, ceux de la rousse,
    Arrêtèrent ses amoureux
    Dans les bras de la garce rousse.
    Ce sont petits désagréments
    Assez fréquents dans leurs commerce...
    Or ils en étaient de la tierce !
    La Lionne et ses cinq amants.

     

     

    Les Tombeurs de la Goutte d'Or

    Si la Bande de la Goutte d'Or du Petit-Louis a disparu avec l'incarcération de ses protagonistes, pour autant, la Goutte d'Or n'est pas désertée, et de nouvelles bandes viennent remplacer celles décimées par les balles des bandes rivales ou par la police. En 1905, c'est les "Tombeurs de la Goutte d'Or" qui règnent sur le quartier.

    Le soir du 9 octobre 1905, pas moins d'une trentaine de membres des Tombeurs de la Goutte d'Or se sont donnés rendez-vous Aux Vendanges de Bourgogne, célèbre salle de bal et de banquet, sise au 14 de la rue de Jessaint. Un fois la soirée achevée, en s'engageant sur le pont de Jessaint, la bande tombe sur Alphonse Sabati, un membre des "Costos (sic) de Clignancourt", une bande d'Apaches rivale. Les Tombeurs entourent le Costo isolé, acculé contre les grilles du pont, et comptent bien en découdre. Il ne doit son salut qu'au passage d'agents qui font leur ronde. Les agents Maréchal et Grière tentent de maitriser Sabati qui brandit son couteau. Ce dernier se retourne contre les agents et plante son couteau en plein dans le coeur de l'agent Maréchal. Mais, comme par miracle, le couteau s'enfonce dans le porte-feuille épais du policier chanceux qui s'en sort indemne. On procède à l'arrestation de Sabati, mais les Tombeurs de la Goutte d'Or comptent bien récupérer leur ennemi de Clignancourt. Des coups de feu sont tirés, un homme s'effondre,  c'est Alphonse Sabati qui est touché, grièvement blessé par une balle dans la poitrine. Le bruit amène les renforts de police et les Apaches s'évanouissent dans la nuit, non sans avoir brisé quelques vitrines de commerces aux alentours.

     

    Rue de Jessaint
    La rue  et le pont de Jessaint vers 1900, au premier plan à gauche la célèbre salle de bal "Aux vendanges de Bourgogne"

     

    Le Manchot

    La Bande de la Goutte d'Or fait toujours régulièrement parler d'elle dans les journaux, Le quartier est incessamment en proie aux cambriolages et est témoin de nombreux règlements de compte, de jour comme de nuit.

     

    La Bande de la Goutte d'Or
    Le Matin, 22 avril 1907

     

    En janvier 1913, le police peut enfin s'enorgueillir d'avoir arrêté, encore, la Bande de la Goutte d'Or. Après Lucien Fauvel pris en flagrant délit de cambriolage rue Jean Robert, c'est au tour de Léon Buiron et de Marcel Brelaut d'être arrêtés. Mais surtout c'est le chef de la Bande de la Goutte d'or qui tombe: Georges Delan, dit "Le Manchot". Amputé d'un bras, perdu à cause d'un coup de fusil reçu dans une expédition nocturne rue du Département en août 1907, Le Manchot était recherché depuis fort longtemps, notamment après avoir tué Camille Artaz, un jeune ouvrier de quinze ans. On retrouvé chez Delan, des armes qui avait été volées au cours de cambriolages commis par la fameuse Bande à Bonnot. La compagne du Manchot, Clémentine Paquet, est mise sous les verrous également. Car dans les bandes d'Apaches, les filles ne sont pas en reste. Elles sont actives avec les hommes Apaches, pas seulement comme "gagneuses", mais elles forment elles-même des bandes "d'Apaches femelles". Une fois encore, les "Zoulettes du 9-3" aujourd'hui n'ont rien inventé.

     

    Les Apaches en Jupons

    Nos sociétés ont tendance à invisibiliser la violence des femmes (des fois qu'elle seraient tentées d'en user pour se défendre!). Toutefois, il existe des exceptions, notamment quand cette violence devient trop flagrante. Parmi ces tapageuses exceptions, les "Femmes Apaches" ont parfaitement su s'illustrer. Du coté de la Goutte d'Or, le boulevard de la Chapelle est certes un territoire Apache, mais il est aussi un territoire des femmes Apaches. Prises dans la violence qui règne le long du boulevard, les filles "en cheveux" savent réagir, se défendre et manier le couteau si le besoin s'en fait sentir. Et si dans la presse elles commencent d'abord à apparaître au coté des Apaches, on voit bientôt poindre des exactions commises par des bandes "d'Apaches en jupons". 

     

    Les Apaches en jupons
    Le Matin, 5 octobre 1910

     

    L'oeil de la Police, un des nombreux journaux à sensation de l'époque, nous livre en une deux de ces histoires de bandes de gigolettes sévissant dans le quartier.

    La première nous raconte l'histoire de Jules Bazet, un garçon épicier demeurant rue des Gardes et qui s'est fait "entôlé par deux belles filles". Bazet se promène un soir sur boulevard Barbès avec la ferme intention de ne pas rentrer seul chez lui. Dans sa quête de compagnie, il croise le chemin de deux belles, "bien habillées" et au pas chaloupé, qu'il s'empresse d'aborder. Il les invite dans un café tout proche. Après un charmante conversation, et mis en confiance, il emmène  nos deux Apaches en jupons à son domicile. Bien mal lui en pris, à peine arrivés dans son modeste garni de la rue des Gardes, les deux invitées se ruent sur lui, le frappent, le jettent à terre et le ligotent "comme un saucisson". La chambre est minutieusement fouillée et les deux filles se s'enfuient avec sept louis d'or et une montre en or, toute la fortune du saucissonné Bazet. On ne retrouvera pas la traces des deux drôlesses.

     

    Boulevard Barbès
    "Entôlé par deux belles filles" L'Oeil de la police, 1908 N°30

     

    Toujours dans L'Oeil de la Police, on apprend les aventures d'un autre homme, Louis Hurel, qui fut aussi une proie des Apaches en jupons. L'histoire se déroule le 18 février 1908 sur le boulevard de la Chapelle, un peu en dehors de la Goutte d'Or vers la rue Philippe de Girard.

     

     

    Apaches en Jupons
    "Apaches en Jupons" L'Oeil de la police, 1908 N°6

     

    Vers minuit, Louis Hurel, mécanicien de Lagny, vient de rendre visite à un de ses cousins qui habite rue Ordener et s'en retourne prendre son train à la gare de l'Est. Chemin faisant, il croise la route de Louise Dufort, dite "La Crevette", de Léontine Chaumet, dite "Titine", de Julie Castel, dite "La Boiteuse", de Juliette Ramey et de Victorine Hirsch. Les cinq filles l'entourent prestement et lui font le coup du Père François (voir une illustration de cette méthode ci-dessous). les Apaches en jupons le dépouille du peu d'argent qu'il possède, de ses vêtements ainsi que de ses chaussures "toute neuves", laissant le pauvre Hurel à moitié nu. Alertés par les cri de ce dernier, deux agents prennent en chasse les bougresses qui s'enfuient dans la rue Philippe de Girard et s'engouffrent dans un immeuble au n°38 de cette rue. Elles se réfugient sur le toit d'un petit hangar en fond de cour. Les agents sur place, bientôt aidés de renforts, mettent plus d'une une heure à venir à bout des Apaches en jupons qui tiennent vaillamment le siège depuis le toit de zinc. On finit par arrêter la bande et Louis Hurel a pu retrouver, entre autre, ses chaussures "toutes neuves".

     

    Le coup du père François
    "Pauvre Léontine; Le coup du Père François" (illustration d'une agression boulevard de la Chapelle, vers la rue de la Charbonnière) Les Faits-Divers Illustrés, 17 octobre 1907

     

    Finissons ces histoire d'Apache dans la Goutte d'Or avec une note plus sympathique, une chanson d'Aristide Bruant pour qui, comme nous avons pu le voir, les Apaches ont été une grande source d'inspiration.

     

     
    Aristide Bruant "Chant d'Apaches"

     

    PS: Amis lecteurs, quoi qu'on en dise, la Goutte d'Or n'est pas une "No Go Zone" et vous pouvez venir vous y promener à votre aise sans qu'aucune bande de la Goutte d'Or ne vienne vous voler vos chaussures "toutes neuves". Promis! 

     

     

     

    « "Le bruit et l'odeur"Les personnages illustres de la Goutte d'Or »
    Partager via Gmail Delicious Yahoo! Google Bookmarks Pin It

    Tags Tags : , , , , , ,
  • Commentaires

    1
    rod2b
    Mercredi 21 Janvier 2015 à 21:38
    Très bon article , avec un tas de documents d'époque. La danse Apache est énorme ! Un bon tango de quartier...
    Et surtout je confirme que l'on peut flâner dans les rues Myrha, Marcadet ou encore Léon.
    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    2
    Ed Aymil
    Vendredi 3 Avril 2015 à 14:41

    Leca, amant de Amélie Elie dite Casque d'Or n'a pas pour prénom Félix mais François DOMINIQUE dit Leca. Tout comme Joseph PLEIGNEUR son rival est connu sous le nom de Manda. On retrouve le personnage de Félix Leca dans le film de Becker "Casque d'Or"  en clin d'oeil au personnage de dessin animé Félix Lechat trés en vogue à l'époque

    Ed

    https://www.facebook.com/pages/Uniquement-la-rue-Jean-Robert/1435631933364077?ref=hl

     

     

    3
    Vendredi 3 Avril 2015 à 22:40

    Merci Ed Aymil pour votre et votre lecture attentive et votre commentaire, j'ai à présent corrigé ma bévue.

    4
    hopeNmind
    Mercredi 15 Août 2018 à 14:28

    Un article encore remarquable

    Juste une petite remarque sur "la délinquance naît toujours dans la misère".

    J'y souscris peu.

    Si les manières sont plus feutrées et convenues lorsqu'on accède à des niveaux sociaux plus élevés, l'impunité et la violence des intentions n'y sont point moindre. Le tout sur un fond d'envie décorrélé de la légitimité du besoin.

    Les exemples sont nombreux, Bernard Madoff, Monsanto, Jérôme Cahuzac...

    Je crois malheureusement qu'il y a davantage une programmation biologique qui nous échappe à étudier sous les lumières des neuroscience et de l'éthologie que sous un angle de déterminisme matériel.

    Le tout petit espoir est que nos cerveaux sont plastiques et que des organisations ou institution peuvent maîtriser en partie nos réflexes reptilien.

    La porte est ouverte au débat

     

    En tout cas, une nouvelle fois merci pour la qualité de vos articles

    5
    Claude-Jeanne
    Mardi 22 Janvier 2019 à 09:34
    Mon grand oncle Emmannuel Jouas a été propriétaire du bal Polonceau dans les années 1930 et je suis toujours à la recherche sur l'histoire du quartier. Merci pour votre article
    6
    sabine arque
    Jeudi 9 Juillet 2020 à 08:58

    Bravo pour cette compilation !

     

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :